L’apprentissage coopératif et l’instruction complexe

coop

Entre 2005 et 2008, j’ai eu la chance de faire partie d’une cohorte pour un microprogramme en apprentissage coopératif et en instruction complexe à l’Université de Sherbrooke (campus de Longueuil). Sous la tutelle de Mme Martine Sabourin, je me suis familiarisée avec une approche de l’enseignement qui rejoignait mes valeurs et que j’ai pu appliquer dans mon contexte professionnel au fur et à mesure.


Depuis, mon enseignement est souvent teinté de cette approche axée sur le développement intégral de l’enfant à l’intérieur d’un groupe, sur l’équité en salle de classe et sur les fondements de la démocratie. Dans cette rubrique, je souhaite vous faire un résumé des notions que j’ai apprises à l’intérieur des cinq cours que j’ai suivis et également vous proposer des activités qui sont tout à fait en lien avec cette thématique.

Qu’est-ce que l’apprentissage coopératif?

L’apprentissage coopératif développe l’estime de soi chez les élèves, leur apporte un sentiment de confiance et de contrôle ainsi qu’une attitude de respect envers autrui. De plus, il accroît la motivation à l’école et permet une meilleure appréciation des différences et des similarités entre les humains. Enfin, elle permet à l’identité de l’enfant de mieux se construire grâce à l’interaction créatrice entre les élèves.

Plusieurs enseignants confondent le travail coopératif avec le travail d’équipe. Voici un tableau présentant les principales différences entre les deux.

equipe-vs-cooperation

Il faut se rappeler qu’on parle d’un vrai travail d’équipe fonctionnel lorsque:

  • chacun parle;
  • chacun écoute;
  • chacun essaie de comprendre les idées des autres;
  • chacun participe au choix des meilleures idées;
  • chacun participe à l’élaboration d’une solution.

Les enseignants ont souvent peur de placer leurs élèves en équipe. Ils ne font pas assez confiance aux élèves, ils craignent que ceux-ci s’éloignent de la tâche, perdent leur temps ou leur fassent perdre le contrôle de l’organisation de la classe.

Cependant, plusieurs études ont prouvé l’apport des interactions sociales dans l’apprentissage. Le travail d’équipe ne devrait donc jamais plus être considéré comme néfaste. Évidemment, il faut mettre de bonnes conditions en place. Dépendamment du genre de groupe que l’on a, on peut donner aux élèves un certain choix dans la formation de leur équipe. L’enseignant dit toutefois s’assurer que ces équipes sont hétérogènes pour créer un contexte favorable à l’échange et à l’apprentissage.

On dit qu’il y a dix bonnes raisons de former des groupes hétérogènes:

  1. Cela permet aux élèves d’avoir des points de vue différents.
  2. Les élèves peuvent voir les choses autrement qu’avec leurs amis.
  3. Les élèves s’ouvrent à des personnes différentes qu’ils n’auraient pas choisies.
  4. Les élèves peuvent faire valoir leurs compétences et connaissances.
  5. Cela incite les élèves à se centrer sur la tâche.
  6. Cela favorise l’entraide car chacun possède des forces différentes des autres.
  7. Cela donne plus d’autonomie aux équipes, car chacun est toujours bon en quelque chose.
  8. Cela facilite la compréhension du travail à faire.
  9. Les élèves peuvent s’ouvrir à des ethnies qu’ils ne connaitraient pas sans cela.
  10. Cela permet aux élèves d’améliorer leurs habiletés sociales en les pratiquant.

Capture d’écran 2013-09-09 à 10.28.35

Comment installer et susciter l’apprentissage coopératif dans ma classe?

La coopération, ça s’apprend. Les élèves doivent donc être entraînés méticuleusement dès le début de leur année scolaire si l’on souhaite que cette méthode d’enseignement soit vraiment utilisée efficacement. Il existe 4 types d’habiletés coopératives à faire acquérir aux élèves: les habiletés de gestion, les habiletés de rassemblement, les habiletés de réflexion et les habiletés de résolution. Voici un tableau présentant les habiletés ainsi que les actions et paroles qui sont les manifestations d’une bonne utilisation de cette habileté chez l’élève.

Habiletés Actions Paroles
Habiletés de gestion
Attendre son tour Une seule personne parle à la fois. « C’est à ton tour, Francis. »
Demander le droit de parle La personne lève la main ou dépose son crayon au centre de la table. « Est-ce que je peux parler, s’il vous plaît? »
Demander aux autres de s’exprimer L’élève se tourne vers la personne pour l’inviter à parler. « Nathalie, veux-tu nous dire ce que tu en penses? »
Communiquer l’information (partager les renseignements de façon claire et ordonner) L’élève regarde les personne à qui il s’adresse; il donne les informations de façon claire et ordonnée. « J’ai trouvé la réponse, la voici : 1. (…) 2. (…) 3. (…) » « Il y a des informations importantes, les voici. »
Participer également Une seule personne parle à la fois et les autres la regardent. Les élèves écrivent à tour de rôle. « Qu’en pensez-vous? »
« Êtes-vous d’accord? »
Accomplir la fonction déterminée par le rôle Action liée au rôle d’intermédiaire : aller demander de l’aide à l’enseignant.Action liée au rôle de facilitateur : diriger la discussion. « Je vais consulter l’enseignant car nous manquons d’informations. »« Nous parlons tous ensemble, veux-tu nous aider? »
Habiletés de rassemblement
Habiletés Actions Paroles
Porter attention aux besoins des autres. Un élève présente un crayon à la personne qui doit écrire. « Janick, tu voulais dire quelque chose, je crois? As-tu besoin d’explications? »
S’entraider Les élèves se rapprochent; on observe des têtes penchées sur les feuilles d’autres élèves. « Veux-tu que je t’explique autrement? »
Expliquer aux autres comment faire (orienter le travail). Un élève explique les directives; les autres s’arrêtent et le regardent. « Attention, nous devons commencer par lire et ensuite, nous devons surligner les idées. »
Demander de l’aide ou des clarifications. Un élève attire l’attention du groupe; les autres élèves le regardent. « Est-ce que quelqu’un peut m’expliquer à nouveau? Je ne comprends pas. »
Encourager Personne n’est isolé. Les élèves parlent à tour de rôle. Chaque élève écoute et regarde la personne qui parle. On note des gestes amicaux. « Super! Génial! Bonne idée! Je crois que nous sommes capables de continuer! Essayons encore! »
Habiletés de réflexion
Habiletés Actions Paroles
Expliquer aux autres comment faire (aider par l’explication, se donner en modèle). Des élèves font des dessins, tracent des démarches, montrent des détails. « Viens ici, Mélissa, je vais t’expliquer comment je m’y prends pour faire cela. »
Poser des questions. Les élèves se rapprochent pour démontrer leur intérêt; ils froncent les sourcils. « Où? Quand? Comment? Pourquoi? Avec qui? »
Justifier ses idées ou dire pourquoi. Les élèves réfléchissent; leurs yeux se relèvent lorsqu’ils se tournent vers eux-mêmes. « Moi, je pense que…parce que… »
Reformuler Les élèves cherchent d’autres manières d’exprimer une intervention. « Est-ce que quelqu’un pourrait redire dans ses mots ce qu’on vient de dire? Je vais reformuler pour voir si j’ai bien compris. »
Résumer les idées à voix haute. Les élèves démontrent, en hochant la tête, s’ils ont suivi le déroulement de la discussion. « Ce qui a été dit jusqu’à maintenant, c’est…Valérie dit que…mais moi je crois plutôt que… »
Aider les autres à se rappeler les idées par des moyens astucieux. Les élèves illustrent les modèles dont ils se servent pour mémoriser. « Patricia, je vais te montrer un truc. »
Respecter les interventions au cours d’une discussion. À tour de rôle, les élèves parlent, écoutent et participent au choix des meilleures idées ou des idées les plus pertinentes. « J’ai donné mon idée, j’aimerais connaître la vôtre. Quelle idée semble la plus efficace? »
Habiletés de résolution
Habiletés Actions Paroles
Se mettre d’accord. Les élèves essaient de comprendre les idées des autres en leur demandant des explications supplémentaires. « Je suis d’accord avec cette idée mais non avec celle-là. Si on réunissait les deux? J’accepte ton idée même si elle est différente de la mienne parce qu’elle peut expliquer tel aspect. Est-ce que tout le monde est d’accord? »
Intégrer un certain nombre d’idées différentes dans une position unique (faire un consensus). Les élèves se regroupent et se rapprochent. « Je suggère de regrouper les idées semblables. Est-ce que des idées sont différentes ou opposées? Lesquelles laisserons-nous tomber? Est-ce que quelqu’un a une autre idée qui nous permettrait de tenir compte de tous les détails? Nous pourrions demander de l’aide à… »
Compléter les réponses des autres. Enrichir les idées. Des élèves écoutent et rajoutent des idées à la suite de celles des autres. Des élèves cherchent à aller plus loin en ajoutant ou en transformant les idées. « Jean-François, c’est intéressant ce que tu dis et ça me fait penser à…C’est une bonne idée mais est-ce qu’on pourrait… »
Critiquer les idées et non les personnes. Les élèves réfléchissent sur la pertinence des idées émises. « Cette idée ne fonctionne pas parce que… »
Générer de nouvelles idées. Des élèves proposent de nouvelles idées; ils dressent des listes d’idées sans les critiquer. « Si on réunissait ces deux idées, qu’est-ce que ça ferait? Super, ça me donne une idée! Qu’en pensez-vous? »

Source: Inspiré de Claudette Évangéliste-Perron, Martine Sabourin et Cynthia Sinagra, Apprendre la démocratie, Montréal, Chenelière/McGraw-Hill, 1996.

De plus, il faut introduire les habiletés et les normes de l’apprentissage coopératif de manière progressive aux élèves, surtout si ceux-ci n’ont jamais été entraînés auparavant.

Voici les grandes lignes d’un entraînement adéquat échelonné sur l’ensemble de l’année scolaire.

  • SEPTEMBRE: Privilégier les activités d’accueil et de climat; offrir diverses structures coopératives aux élèves pour les sensibiliser à la coopération; soulever les bienfaits du travail coopératif pour donner le goût aux élèves d’y croire eux aussi; observer les élèves et former des premiers groupes de base; travailler les habiletés simples comme « Je chuchote » et « Je reste avec les membres de mon groupe ».
  • OCTOBRE: Donner des rôles aux élèves à l’intérieur des équipes; parler de l’importance de l’entraide et de l’ouverture à la diversité; mettre en place le conseil de coopération; continuer l’entraînement des habiletés de base comme « J’écoute attentivement » et « Je partage le matériel ».
  • NOVEMBRE: Renforcer le sentiment d’appartenance des équipes grâce à un système de renforcement positif basé sur l’entraide et l’interdépendance positive; entraîner aux habiletés « Je participe à mon tour », « Je demande et donne de l’aide » et « J’encourage mes coéquipiers ».
  • DÉCEMBRE: Faire travailler les élèves en coopération dans tous les domaines d’apprentissage (français, mathématique, sciences, etc.); revoir les habiletés vues depuis la rentrée.
  • JANVIER: Souligner fréquemment les comportements coopératifs positifs des élèves; former de nouvelles équipes de base à l’aide d’un sociogramme.
  • FÉVRIER: Observer les statuts des élèves au sein des équipes et bâtir un plan d’intervention pour réduire l’écart entre ces statuts; se distancer progressivement des élèves en déléguant l’autorité et en les responsabilisant.
  • MARS-AVRIL-MAI-JUIN: Entraîner les élèves à des habiletés sociales et intellectuelles de niveau plus élevé; continuer de souligner l’apport de l’apprentissage coopératif ainsi que leurs bons coups; remettre un diplôme d’entraînement réussi.

Qu’est-ce que l’instruction complexe?

L’instruction complexe est une forme d’apprentissage en coopération développée à l’Université de Stanford par Elizabeth Cohen. C’est une approche axée sur l’équité et la démocratie dans les classes hétérogènes et dans lesquelles le travail est d’un haut niveau intellectuel. Les groupes d’élèves travaillent à des tâches nécessitant un éventail d’habiletés intellectuelles beaucoup plus large que ce qu’on retrouve habituellement dans les écoles d’aujourd’hui.

L’enseignant délègue son autorité à des groupes d’élèves qui ont un degré d’autonomie qui leur permet de solutionner des problèmes et relever des défis stimulants. L’enseignant devient un guide et crée les conditions pour que l’apprentissage puisse se faire en fournissant au groupe des instructions générales et du matériel varié. L’enseignant a un rôle important au début d’une période et à la fin, lors du retour sur l’activité et l’objectivation.

Voici la liste des habiletés intellectuelles selon la taxonomie de Bloom:

NIVEAU A: CONNAISSANCE Définir
Lister
Mémoriser
Étiqueter
Enregistrer
Répéter
Raconter
Redire
Reporter
NIVEAU B: COMPRÉHENSION Décrire
Expliquer
Identifier
Reporter
Réviser
Exprimer
Reconnaître
Discuter
Localiser
NIVEAU C: APPLICATION Démontrer
Pratiquer
Appliquer
Illustrer
Opérer
Traduire
Interpréter
Interviewer
Mettre en dramatique
NIVEAU D: ANALYSE Distinguer
Comparer
Inventorier
Résoudre
Questionner
Faire un diagramme
Expérimenter
Débattre
Différencier
NIVEAU E: ÉVALUATION Sélectionner
Juger
Prédire
Évaluer
Assigner une valeur
Prioriser
Estimer
Mesurer
Choisir
NIVEAU F: SYNTHÈSE Proposer
Prévoir
Organiser
Planifier
Composer
Classer
Préparer
Assembler
Formuler

Source: Taxonomie de Bloom, Nouveaux paradigmes pour la création d’écoles qualité, Brad Greene, Éditions Chenelière McGraw-Hill.

L’instruction complexe, c’est aussi de nombreux principes à respecter de la part de l’enseignant et des élèves pour bâtir la classe équitable.

  • Tous les élèves dans les petits groupes ont un accès égal au processus de co-construction du savoir. Pour les élèves indifférents ou passifs, il faut offrir des activités variées, leur donner un rôle important au sein de leur équipe, essayer de rejoindre un de leurs intérêts.
  • Aucun élève ne domine le groupe et aucun n’est oublié. Pour les élèves rejetés, on peut leur donner des rôles valorisants, les renforcer positivement lors des rétroactions, se questionner sur nos interventions par rapport au statut de cet élève.
  • Tous ont accès au matériel et à la discussion. Si ce n’est pas le cas, formez les élèves rejetés AVANT l’activité pour qu’ils deviennent la référence du groupe lors de l’exécution de la tâche.
  • La formation des groupes est hétérogène; aucune habileté ne se perd. Pour les élèves dont les habiletés sont moins évidentes, leur laisser le choix de l’activité à réaliser, les questionner sur leurs goûts.
  • L’enseignant utilise un discours gratifiant; il sait que la réprobation publique nuit au statut d’un élève. Trouver des moments propices pour discuter avec les élèves n’ayant pas un bon comportement, privilégier les signaux non-verbaux.
  • Les participants doivent s’utiliser comme ressources. Certains élèves préfèrent toujours travailler seuls. Dans ce cas, il faut amener les autres membres de l’équipe à l’encourager pour qu’il demeure avec eux, valoriser l’aide au point de vue social ET intellectuel, lui rappeler nos attentes et réévaluer la tâche pour rendre plus évidente l’interdépendance entre les membres.
  • L’enseignant donne plein pouvoir aux élèves pour réaliser les tâches sans son intervention. Pour ce faire, nos attentes doivent être le plus claires possible avant la réalisation de la tâche et pour prévenir les problèmes, on peut revoir avec les élèves la démarche de résolution de problèmes.
  • Les membres d’un groupe se respectent et apprécient la participation de chacun. Tous parlent et travaillent ensemble. Il faut être un modèle pour les élèves et leur donner au départ des rôles que tous sont aptes à faire. Il faut aussi les rassurer en leur rappelant qu’il est possible de demander de l’aide pour mieux remplir son rôle.

ordi_enfant

Enfin, voici des liens Internet sur le thème de l’apprentissage coopératif pour aller plus loin dans votre connaissance de ce sujet!

http://www.tact.fse.ulaval.ca/fr/html/coop/2app_coo/cadre2.htm

http://www.fedecegeps.qc.ca/wp-content/uploads/files/carrefour_pdf/06-07-03-texte.pdf